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Un voyage dans l’histoire des jeux d’imaginaire et de fantastique

Je vous propose un voyage dans le temps. Un voyage par delà l’histoire récente des jeux de rôle tels que nous les connaissons depuis 50 ans.

Nous sommes nombreux à avoir entendu parler des jeux des sœurs Brontë. Si vous ne les connaissez pas, vous pourrez les découvrir dans cette traduction du site PTGPTB.fr.

Mais il y a bien plus à découvrir. De tout temps nous avons joué à des jeux “pour faire semblant”. Pour donner vie aux romans fantastiques, aux mythes et aux traditions. Incarner des personnages, se prendre pour des chevaliers, des voyageurs ou même des insectes et des fleurs.

Comme dans les mémoires de Marie Du Bois , valet de chambre de Louis XIV, décrivent le jeune roi jouant à ce jeu en 1655, alors qu’il aurait eu environ 17 ans. Le soir, après avoir dansé,

[O]n joue aux petits jeux comme aux romans. L’on s’assied en rond. L’un commence un sujet de roman et suit jusqu’à ce qu’il soit dans quelque embarras. Cela estant, celuy quy est proche prend la parole et suit de même, ainsy de l’ung à l’autre les avantures se trouvent, où il y en a quelquefois de bien plaisantes. Minuit estant proche, le Roy donne le bonsoir à la Reine

source : https://www.jstor.org/stable/42997914?seq=10

 

Il y a quelques mois, j’ai découvert dans un grand frisson de curiosité et une certaine jubilation le travail extraordinaire de wobbupalooza. Ce passionné d’histoire a réalisé un travail titanesque dont vous pourrez découvrir la richesse en anglais sur son site : https://wobbupalooza.neocities.org.

Avec son autorisation, je vous propose une série d’articles pour vous proposer les textes originaux sur lesquels il s’est basé.

Et pour débuter ce voyage dans le temps, je vous propose de découvrir le jeu du Conte Impromptu.

Le Conte Impromptu : un jeu de narration collaborative avec des éléments fantastiques

Ce jeu vous fera sans doute penser le célèbre jeu Il était une fois, ou si vous lisez l’anglais le très sympathique jeu The Extraordinary Adventures of Baron Munchausen.

Publié dans le tome 2 du livre Petit Savant de société en 1812, attribué à un certain monsieur Enfantin ( wobbupalooza note dans son travail qu’il s’agit certainement d’un pseudonyme utilisé par Louis Legay, auteur d’ouvrages pour la jeunesse).

En voici les règles:

Le sujet de cette histoire doit être noble : soit que l’on y fasse intervenir des fées ou des génies, soit que l’on choisisse comme genre la chevalerie. Celui ou celle qui a le plus de facilité et d’imagination doit assumer le rôle principal de conteur, pour mieux aplanir les occasions de confusion qui résultent du récit et sortir avec succès des difficultés à surmonter.

Le premier conteur est appelé le confident et doit commencer par donner à chacun des joueurs le nom d’un objet qui pourrait figurer dans un récit héroïque : par exemple, palais ou château , tour , rivage , mer , vaisseau ou navire , serviteur , ministre , capitaine de la garde , jardin , parc , forêt , ville , village , hameau , vallée , montagne , rocher , précipice ou donjon .

Celui qui commence l’histoire en premier doit chercher à fixer l’attention de tous avec quelque chose d’intéressant ou d’extraordinaire, afin de pouvoir surprendre ceux qui seront nommés. Voici la manière dont je l’ai vu se dérouler, qui peut servir d’exemple.

Dans un royaume d’Afrique, dont le nom a été perdu par l’ignorance des géographes, le roi avait laissé pour héritière une jeune princesse dont la beauté était ravissante ; (ici le narrateur peut faire son portrait, et détailler les qualités de son cœur et de son esprit) mais sa mère, qui fut régente du royaume jusqu’à la majorité de sa fille, et qui était ambitieuse, vaniteuse et coquette, dans l’espoir de perpétuer ou du moins de prolonger son autorité, éloigna cette jeune princesse, et fit croire au public que la raison de la princesse était perdue ; mais Mélidor, l’un des plus beaux et des plus braves chevaliers de la cour de Philippe le Bel, roi de France, qui avait vu la princesse avant que la mort n’eût pris son père, et qui avait été touché de ses charmes, étant retourné en Afrique, et soupçonnant bien qu’une princesse si admirable n’avait pu perdre la raison, conçut le projet de la tirer de l’oppression, et de la délivrer de la captivité où elle était tenue. Suivi de son écuyer, il se dirigea vers la tour et…

Après avoir nommé la tour , l’interlocuteur à qui ce nom avait été donné commença à parler et continua l’histoire. Ne se sentant pas assez fort pour le soutenir longtemps, il décrivit la forme et la hauteur de la tour, et se tira de l’embarras en disant que le sommet de cette tour dépassait la hauteur des plus grands arbres de la forêt .

La forêt qui, à son tour, était obligée de continuer le récit, s’en débarrassa, disant que le chevalier, surpris de la hauteur et de la forme de cette prison, voulant cependant y entrer, consulta son écuyer, qui était son confident.

Alors l’histoire revenait à celui qui l’avait commencée, qui, comme je l’ai observé, devait avoir le talent d’imaginer et l’habitude de parler facilement.

Voilà, Mesdames, ce qui concerne le déroulement de ce jeu ; mais il y a une autre condition qui le rend très difficile et produit des situations très agréables.

C’est que lorsque le narrateur s’efforce de rendre l’histoire intéressante et pleine de suspense, il est obligé de pointer du doigt l’un des joueurs, qui doit aussitôt fournir un mot, qu’il doit sembler chercher ; or le mot qui lui est donné doit être complètement opposé à celui qui pourrait convenir à la situation ; sinon, la personne qui l’a prononcé est tenue de donner un gage .

Voilà ce qui va se passer. Le confident résume l’histoire en ces termes :

Le chevalier, résolu d’entrer dans la prison où il croyait, avec raison, que la princesse était détenue, dit à son écuyer : Je n’ai aucun espoir, mon cher Tobalde, de posséder une princesse aussi illustre, destinée à monter sur le trône ; mais je veux avoir le mérite de la délivrer : le devoir de chevalerie m’y oblige, et plus que tout, mon cœur me porte à la servir de toute ma… (il regarda une des joueuses, qui, sans se tromper sur les règles du jeu, plutôt que de lui donner le mot de courage , qui lui eût convenu, lui donna du repos . Il continua sans se déconcerter.) Mon repos et mon indifférence s’étalent aux yeux des courtisans de son ambitieuse mère, mais en secret avec tout mon zèle et tout mon courage, je commencerai, pendant que vous garderez nos palefroi, à grimper sur ce chêne dont les branches s’étendent jusqu’au sommet de cette odieuse prison, et quand je me laisserai… (il regarda une des joueuses, qui lui dit tout bas de tomber ) tomber, reprit-il, doucement sur les créneaux, je m’introduirai dans l’intérieur ; là, couvert de mon armure, je tirerai mon… (ici ayant cherché un mot, on lui souffla le mot épée , et la dame obligeante qui l’avait si bien servi lui en donna le gage ) et je passerai par tous les détours de cet affreux monument de tyrannie, et si je trouve l’objet de mes vœux et de mon entreprise, aussitôt je la tournerai… (il regarda encore une dame qui lui souffla le dos ; il s’arrêta seulement un instant, et continua ainsi) pour lui faire comprendre de me suivre ; que mon corps lui servira de rempart, et qu’avec l’appui de mon bras elle sortira à travers ses gardes tombées ; et après, ma chère Tobalde, nous la mènerons au rivage .

Le rivage commença à parler, et l’ayant bientôt renvoyé à la mer , il se trouva à la frontière, où il acheva son récit, se tirant heureusement de tous les obstacles et rétablissant sa princesse sur le trône de son père.

Vous pourrez, je crois, Mesdames, juger par cet exemple combien ce jeu peut à la fois devenir intéressant et donner des gages , et que, à supposer qu’il n’en donnât point, il aurait par lui-même un attrait particulier qui le ramènerait comme un exercice agréable à l’esprit, satisfaisant pour ceux qui ont l’habileté d’y réussir et de s’en transmettre le récit sans le dénaturer par des longueurs étrangères au sujet.

source: https://www.google.com/books/edition/Le_Petit_Savant_De_Soci%C3%A9t%C3%A9/iKhAAAAAcAAJ?hl=en&gbpv=1&pg=PA90&printsec=frontcover

Notes sur la façon de jouer à «Le Conte Impromptu»

Traduction tirée du site https://wobbupalooza.neocities.org/notes

J’ai introduit « The Impromptu Tale » à deux reprises avec de bons résultats à chaque fois, mais dès le début, j’ai introduit des règles qui permettent aux joueurs de savoir plus clairement ce qu’ils doivent prévoir au fur et à mesure que l’histoire se déroule. Je ne pense pas que « The Impromptu Tale » ait besoin de ces règles pour être jouable – en fait, les règles de base devraient être encore plus amusantes avec l’expérience – mais elles ont été utiles pour lancer des démos one-shot et apporter plus d’histoire.

  1. Objectifs connus de l’histoire : J’ai donné à chaque joueur sa désignation dans l’ordre dans lequel il devait s’attendre à ce qu’elle apparaisse dans l’histoire. C’est-à-dire qu’en faisant le tour d’un cercle de gauche à droite, j’ai « nommé » les joueurs avec les termes qui marqueraient leur entrée dans l’histoire. Je leur ai dit que je commencerais l’histoire, selon les règles du jeu, mais que je terminerais ma contribution initiale à un moment où le joueur à ma gauche devrait reprendre l’histoire, et je leur ai demandé à chacun de développer le récit de telle manière qu’il passe également à la personne à leur gauche – bien que, si besoin était, ils pourraient m’envoyer l’histoire en tant que confident, et je l’enverrais à la personne suivante dans l’ordre. Ainsi, les joueurs pouvaient anticiper la manière dont leurs contributions principales commenceraient et finiraient.
  2. Chacun doit gérer au moins un “twist” : “Le récit improvisé” précise que le confident – et dans une variante, exclusivement le confident – cherchera auprès des autres joueurs des mots inattendus qui pourraient faire dérailler l’histoire. Pour que chaque joueur puisse avoir l’expérience de demander et de fournir des mots opposés à la direction de l’histoire, j’ai demandé à chaque joueur de chercher au moins une fois un mot inattendu du joueur à sa droite, c’est-à-dire du joueur qui lui avait probablement passé l’histoire.
  3. Les gages triviaux : Le concept de gages/gages mérite d’être expliqué dans une démo pour donner une saveur historique à l’expérience. Cependant, les pénitences données ne doivent pas être onéreuses ou embarrassantes. ” The Simple Confidence ” ne nécessite que de communiquer à un autre joueur un secret trivial qui doit être amusant ou galant, bien qu’un joueur puisse toujours refuser. ” The Telegraphic Message ” prend quelques minutes, et les joueurs peuvent être surpris par son histoire. Dans la seule démo où un gage a été donné, le compagnon du joueur s’est porté volontaire pour l’emmener un moment, il a accepté avec joie, et ils ont simplement déclaré que sa pénitence était terminée à leur retour.
  4. Objectifs narratifs plus riches : Même au 19e siècle, une partie de « The Impromptu Tale » pouvait comporter des éléments narratifs comme la solitude, la jeunesse ou des désignations qui se chevauchent pour le même personnage comme Eliza / l’Invalide, il ne s’agissait donc pas uniquement de désigner des motifs évidents comme un château ou le capitaine des gardes. Pour suggérer plus concrètement où un joueur devrait emmener l’histoire dans une partie de démonstration, j’ai développé une liste de motifs narratifs basés sur le roman fantastique Phantasmion de Sara Coleridge . Ainsi, par exemple, un joueur a reçu le « nom » de « Le bébé dans le nid de l’aigle », un autre a reçu « Le cadavre de Dariel, le jardinier », et ainsi de suite. Essayer de passer de chacune de ces destinations à la suivante était agréable et étonnamment similaire dans le style à Phantasmion , même si le matériel de connexion était complètement improvisé. J’ai inclus une liste plus complète de suggestions ci-dessous.
  5. Une conclusion méta-jouée : En 1779, de Voyer proposait cette discussion des « Histoires interrompues » : « Le dernier, qui aura prêté la plus grande attention à ce que les autres auront dit, pendant le court espace de temps qu’on leur aura dit de ne pas trop dépenser, termine l’histoire avec un dénouement tel que leur esprit le leur suggérera. Quand on sait bien arranger ce petit jeu et si la plupart des acteurs sont des gens d’esprit, c’est charmant. » Autrement dit, gardez à l’esprit la nécessité d’une conclusion satisfaisante et de décider qui terminera l’histoire. Dans « Le Conte impromptu », l’histoire peut être confiée au Confident, qui est censé être capable de gérer ce besoin, mais ce n’est pas réellement une règle. Si vous demandez aux joueurs de passer l’histoire selon un certain ordre, comme je l’ai fait, vous pouvez aussi faire en sorte que les joueurs ayant une forte expérience de la narration passent en dernier ou bien conseiller aux joueurs qu’ils peuvent transmettre l’histoire au Confident pour une conclusion.

Voilà, un jeu qui techniquement répond aux règles de 4 des 5 versions de « Le Conte Impromptu », mais qui clarifie un processus et ajoute plus de détails à l’histoire de telle sorte qu’une démo one-shot peut être plus sûre de donner à chaque joueur une chance de quelque chose de mémorable.

 

L’illustration de cet article est tirée du livre Distortions and Grimaces: Jean de Bosschère’s Weird Islands ( source : https://publicdomainreview.org/collection/weird-islands )

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Matthieu B

Passionné d'informatique et de jeux de rôle, aime beaucoup trop parler de lui à la 3ème personne. Publie sur C'est Pas du JDR, créateur de forthedrama.com, anime un collectif en ligne dédié au partage, l'entraide, la transmission et l'accessibilité des jeux de l'imaginaire.

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