Law’s Out nous propose de tourner un bon vieux Western dans la tradition des Pour une poignée de dollars ou Il était une fois dans l’Ouest. C’est un jeu coopératif dans lequel les joueurs vont camper les acteurs du film et enchaîner les scènes du film pour pousser les personnages vers la gloire ou la déchéance. Ça à l’air super alléchant dit comme ça, je suis un grand fan de Western. Mais on a vite déchanté en le testant. Autopsie d’un jeu qui nous a semblé peu abouti.
Pour une poignée de poudre aux yeux
De bien belles promesses dans le pitch de Law’s Out. Déjà les jeux de rôle spécifiquement conçus autour de la notion de film Western ne sont pas légion. Ok il y a des jeux qui vous transportent dans le Grand Ouest au 19 ème siècle, avec plus ou moins de cache poussière ( La Nuit des chasseurs par Yno ) et plus ou moins de tentacules (les Deadlands). Mais là, on te parle de tourner un fucking western movie ! Et en plus de jouer les acteurs du film. Pour moi ça signifie :
- endosser la vie d’un acteur qui joue un rôle
- jouer avec la caméra
- gérer les relations entre les acteurs
- etc ..
Bref, la vie d’un film quoi. Première désillusion : il n’en sera rien. Passé les deux premières pages du livre, exit la notion d’acteur. On ne va pas jouer les acteurs, mais de manière très classique les personnages d’une histoire. J’ai l’impression que l’auteur présente son jeu ainsi pour que le lecteur comprenne mieux ce qu’est un jeu de rôle. A savoir, jouer un rôle. Oui, mais … ok pour dire “vous aller jouer comme dans un film”. C’est très différent que de nous expliquer pendant 2 pages qu’on jouera les “interfaces acteurs” de personnages de fiction. M’voyez ?
Il est où mon film ?
Pire malédiction : exit aussi la notion de film ! On te dit comment lancer le jeu : “Le générique de début défile, la caméra défile au dessus de la ville, tous les personnages vaquent à leurs occupations”. Déjà, j’adore jouer les génériques ! Qu’ils soient juste décrits, bruités à la bouche, chantés, etc.. c’est vraiment un bon échauffement pour lancer l’ambiance du jeu et poser le ton. Bon, là c’est juste évoqué. Ok, soit, pas de souci. Puis on enchaîne sur un super traveling qui remonte toute la ville ! Génial. Top, ça pose le décor. Oui, mais .. qui raconte ça ? chaque joueur à tour de rôle ? façon gros brainstorming avec des idées qui fusent dans un beau bouillonnement créatif ? En lançant notre partie, c’est la première pause que nous avons dû faire. Simplement pour se demander : comment on joue ça ? C’est balo, parce que c’est censé être le coup d’envoi du jeu. Ça aurait mérité une petite phrase pour l’expliquer, quitte à dire “débrouillez vous, faut que ça fuse, que ça déchire, etc..”. Tu vas me dire que je n’ai qu’à me démerder et me sortir les doigts du nez. Ok, compadre, ok. Mais alors, passé ce petit bout de phrase, il est où mon film ? Non mais, parce que moi si un jeu me promet de “tourner un film”, je m’attends à ce que cette promesse soit un minimum intégrée dans sa règle du jeu ! Là, on a juste un truc du genre : vous allez jouer une succession de scènes, comme dans un film ! et à la fin, il y a aura un grand duel ! Sérieusement ? Ils sont où mes mouvements de caméra ? mes flashbacks ? mes moments de pause contemplative ? la scène de la mouche dans Il était une fois ? les gros plans sur les yeux ? le cowboy solitaire qui galope vers le couché de soleil ? Ben débrouille toi, coco ! c’est du jeu de rôle, c’est à toi de tout inventer ! Non. Non non et non. Selon moi, si je prends en main un jeu de société, je m’attend qu’à minima il me fournisse des outils pour y jouer. Tu imagines : tu achètes le dernier jeu de plateau de guerre à la mode, avec du super matos et tout, et en lisant la règle tu lis “et là, les armées se battent, puis les vainqueurs remportent la couronne”. Tu t’attends à l’explication de comment résoudre le combat. Des outils, des conseils … une mécanique peut être ? Et ben Law’s out n’en fournira aucun. Enfin aucun en dehors du système de scènes, qui est détaillé sur plus de 7 pages entre Comment cadrer une scène et Comment la résoudre. On va en parler justement. Mais avant ça, saches que si tu veux un bon exemple sur ce que permet en jeu de rôle un format “film”, écoutes un peu le podcast à tonton Volsung sur 2d6+cool. Et particulièrement sa série sur le jeu Monster of the Week.
De mal en pire
Bon, mais lors de ta première partie de Law’s out, tu es enthousiaste à l’idée de jouer un super Western avec tes amis. Donc tu laisses ça de côté. Tu joues ta foutue intro .. comme tu veux. Tu présentes tes personnages … sans parler de la notion d’acteur du coup. Et : en avant pour raconter un Western ! Et là, tu arrives sur les 4 pages d’explications de cadrage de scènes les plus indigestes que je n’ai jamais vu. Genre pour te donner une idée, tu vas devoir assimiler 4 grosses pages bien denses, mais en plus ce n’est que le début de l’explication du système de scène. Les 4 pages t’expliquent juste le “pourquoi on joue la scène” et “comment on la débute”. Pour le système de résolution, c’est encore 3 pages et c’est expliqué après 🙁 Tu viens de te fader 4 pages d’explications pas didactiques et qui se répètent beaucoup. Cool ! tu vas enfin pouvoir jouer ta première scène ! Mais tu ne sais toujours pas comment la terminer. Mais bon, comme tu es une fille ou un garçon pratique, tu as lu tout ça avant la partie et tu as certainement fait une aide de jeu sous la forme d’une liste à puce de 5 lignes pour résumer tout ça.
Enchères, mon amour
Voilà, j’ai bien daubé sur le début de la règle du jeu. Qui aime bien un pitch daube bien. On va donc parler du système de résolution des scènes, qui pour le coup est bien. Enfin bien. Un peu comme le reste : l’idée est bonne, il manque juste les finitions. Donc, un joueur a cadré une scène, elle est plus ou moins là pour faire briller son personnage ou au contraire pour l’empêtrer dans les emmerdes. On se pose maintenant la question de “qui c’est qui va raconter la fin de la scène !”. Pourquoi ? ben parce que c’est un Western, donc on joue des acteurs personnages en mode Character VS Character ! Euh.. non, ce n’est pas non plus expliqué dans la règle. On fait donc une enchère parce que c’est ça le jeu. Donc, les joueurs dont le personnage est présent dans la scène vont faire une première mise, puis on enchaîne les tours de parole, jusqu’à ce que tout le monde passe et que l’enchère soit remportée par la mise la plus haute. Normal quoi. Et donc, on mise quoi ? des jetons ? Non ! Tout le sel de la mécanique repose sur le fait qu’on va miser des éléments de la fiction ! Ça peut donner ça : Scène d’un duel au clair de Lune. Le Shérif Isabella est déjà salement amochée, elle a pris une balle dans la scène précédente. Le Desperado Julio mastique un vieux bout de tabac en riant comme un fou. Le Marshall rampe jusqu’à son flingue, on lance l’enchère :
- Isabella : je mise “Mon adjoint fidèle”, en faisant ça j’indique qu’il doit faire partie de la résolution de la scène. Clairement, il va lui arriver un sal truc. Peut-être une balle perdue ou autre. Celui qui remportera l’enchère en décidera
- Julio : je mise “toutes mes munitions”, je vais déclencher un déluge de balles pour réduire Isabelle à l’état de charogne sanguinolente
Ok. Premier tour d’enchère terminée. Maintenant, qui veut surenchérir ?
- Julio : Je suis prêt à miser “Ma liberté”. En gros, j’indique que je veux survivre à cette scène, mais ça se fera au prix d’un emprisonnement ou autre.
- Isabella : Ah ouais ? ok, je mise “ma réputation de Shérif” ! J’irai jusqu’au bout pour te faire payer tes crimes, il n’est plus question de justice, je veux ta mort !
Et donc, comment l’enchère se termine ? et bien on va devoir discuter de ce qui pèse plus lourd dans la balance : est-ce que la liberté de Julio vaut plus que la réputation d’Isabella ? Avoue que déjà, la scène a de la gueule. On sait que celui qui va remporter l’enchère va sacrément faire avancer l’histoire. Et ça, c’est bon. C’est bien. Ça fait une bonne histoire. Pas de statut quo. Voyons ce que nous dit la règle sur comment on juge les niveaux d’enchère :
- Il y a des enchères mineures et des enchères majeures, la différence est ce qu’il en coûte au personnage. Donc une enchère majeure vaut plus qu’en enchère mineure. Facile.
- pour avoir la plus grosse mise, vous devez miser “quelque chose ayant plus de valeur, étant plus douloureux, ou dramatique que les enchères placées par les autres joueurs”.
Mais mais mais ? Tu veux dire qu’on va devoir en causer en mode free style ? Ben oui. En dehors de dire “ma réputation vaut plus que ton canasson”, la règle du jeu ne va pas beaucoup plus nous aider sur comment nous départager. On vous a dit que c’était un jeu coopératif ! What’s the problem ? Mouais. Personnellement je trouve que le concept même d’enchères tombe à plat. Et c’est dommage, car parfois il n’y a aucun doute sur la valeur d’une enchère. Mais c’est justement quand ça devient dramatique, et donc intéressant, qu’on est démuni. Coopératif, on t’a dit. Oui, mais pourquoi alors monter la règle du jeu autour de notion de duel ? D’affrontement ? Coopératif. Point barre. Tiens-toi y et trouves une solution pour régler tes enchères en discutant avec tes joueuses.
Oh ! des Livrets de personnages !
Les personnages sont imposés par le jeu. Il y en a 8 au total, très dans le ton d’un bon Western : le Baron, le Docteur, Le Shérif, le Hors la loi, le Prédicateur, L’Etranger .. et le Diable et le Narrateur. Wait ! Le Diable ? le Narrateur ? c’est trop cool ! Comment ça se joue ? Ben déjà, oublie si tu joues à 3 joueurs car la règle du jeu t’explique qu’on ne joue le Narrateur qu’à partir de 4 joueurs et le Diable à partir de 5 joueurs. Sachant qu’une partie de Law’s Out à 3 joueurs dure déjà 3 / 4 heures, je n’ose imaginer ce que ça donne à 5 .. mais bon, passons. Si les 5 heures sont bien rythmées, pourquoi pas ? Et donc, tu te dis : c’est cool, ça ressemble un peu aux livrets d’Apocalypse World et ça claque ! Tu vas encore une fois déchanter : ici on ne te propose pas de choisir parmi plusieurs options pour typer ton archétype. Au lieu de ça, tu as :
- 2 questions ouvertes pour donner un peu de chaire à votre personnage lors de la scène d’introduction et lors de l’épilogue
- un pouvoir spécial
- une idée de scène imposée pour le moment où ton personnage brille, et une idée de scène imposée pour quand il sombre dans les emmerdes
- une liste de mises que tu pourras utiliser lors des enchères
Ca m’a semblé assez limité, très convenu. Sans parler des mises un peu foutraques du style ” mon billet de train ” de l’Etranger.
Des spaghettis au goût amer
Dire que j’ai été déçu par Law’s out après sa belle promesse et son concept d’enchère, c’est peut dire. Le jeu donne l’impression d’aller trop vite en besogne là où il aurait pu fournir des outils aux joueuses. Je l’ai trouvé aussi inutilement verbeux et alambiqué quand il aurait dû être synthétique et rapide. Mais si toi tu as eu une autre expérience du jeu, je serai heureux d’en causer avec toi !
- VO payante, VF gratuite
- < 30 pages
- Durée d’une partie : 3h à 5h
- plusieurs meneurs de jeu
- découpage en scènes résolues par une enchère
- rôles spéciaux (le Narrateur et le Diable)
En vente sur DriveThruRPG en anglais Traduit par 500NDG et publié gratuitement Publié par Liberi Gothica Games en 2014 sous licence Creative Commons CC-BY-SA Traduit en français et publié en 2016 par 500NDG
Les plus
- l’idée d’enchère où on mise des éléments de l’histoire pour les griller, les abîmer ou simplement leur donner de l’importance
- le thème du film Western, trop peu représenté … même s’il est justement sous exploité par le jeu
Les moins
- Le jeu ne remplit pas selon moi son contrat initial de jouer un film
- Des explications trooop compliquées et trooop longues, pour pas grand chose
- Un système d’enchère qui ne permet pas de déterminer facilement qui a gagné
- Des feuilles de personnage peu inspirante
Je te le recommande si …
- Tu aimes hacker des jeux pour les rendre fonctionnels ? 🙂
Je te le déconseille si …
- Tu veux un jeu rapide, car Law’s Out est un jeu long pour peu qu’on veuille enchaîner les scènes
- Tu veux jouer “comme dans un film”, car passer l’intention de jeu, Law’s Out ne te donne pas les billes pour ça
- Tu veux des personnages riches et pas des clichés